Désormais, c'est dans la mer que s'inscrivent les traces de nos pas et c'est dans le sillage du Westerdam, au petit matin, que se dessine l'esquisse de l'avenir ...






vendredi 11 mars 2011

Journal de bord

(désolée, c’est juste du texte aujourd'hui, les photos, ce sera pour demain!)
C’est mon premier hiver passé dans le Sud. Depuis six semaines, je vis au rythme des snowbirds, en essayant quand même de lire, d’écrire et de faire un peu de travail pour ne pas virer légume. En six semaines, je dois dire que la plupart de mes préjugés ont fondu au soleil. Je comprends mieux ces gens venus du nord qui recherchent ici un petit coin de soleil où réchauffer leurs vieux os.  À les regarder vivre, on comprend que les journées passent très vite, que chacun a ses hobbies et ses petites activités et que, finalement, on se recrée tous ailleurs un petit univers qui ressemble à chez nous.
On se fait vite de nouvelles habitudes. L’humain est un être grégaire – on aime bien planter ses repères et répéter les mêmes gestes. On s’habitue assez vite à la nouveauté qu’on transforme aussi vite en territoire connu : le même pain, le même lait, la même épicerie, le même parcours sur le sentier, les mêmes voisins, le même horaire … Les humains me font penser aux animaux : les souris reviennent sur leurs traces, les hamsters tournent leur roue dans le même sens, les chèvres dorment toujours chacune dans son même rond de paille, les chats ont chacun leur coussin, toujours le même, les chiens mangent dans leur propre écuelle. On fait pareil.
Parfois, j’ai l’impression que notre vie en Minnie doit ressembler à certains égards à l’expérience des cosmonautes à bord d’un vaisseau spatial! Depuis six semaines, nous partageons un espace assez restreint et notre vie quotidienne se déroule, pour l’essentiel, à l’intérieur de quelques mètres carrés. Heureusement, nous dormons dans le même lit, ça fait ça de gagné – il serait difficile d’avoir deux espaces à dodo pendant aussi longtemps ici dedans!
Pauline a déjà voyagé quelques semaines à bord de sa Westphalia, il y a une vingtaine d’années et, de mon côté, j’ai cumulé au fil des ans plusieurs expériences de voyage dans toutes sortes de conditions fort variées. Mais c’est la première fois pour l’une et l’autre que nous passons une aussi longue période en « camping » motorisé, à deux. Et il y a des surprises, pour l’une et l’autre, dans cette expérience!
Bien sûr, c’est tout confort! Chauffage s’il fait froid, climatisation s’il fait chaud, eau courante chaude et froide, frigo, cuisinière, micro-ondes, douche, toilette, télé, ordis, name it, on l’a! Nous voyageons avec une garde-robe complète, été/hiver, pour l’une et l’autre, nos bibliothèques respectives, mes documents et outils de travail, les outils de Po – l’artiste et la mécanicienne – et tous les objets nécessaires à la vie quotidienne normale (cafetière, casseroles, vaisselle, draps, nappes, etc.).
Mais il reste que cette vie, toute confortable et toute normale qu’elle soit, se déroule dans un espace somme toute assez restreint. On doit penser à chacun de ses gestes, éviter de se piler sur les pieds (au propre comme au figuré), planifier la plupart des opérations, notamment la cuisine. Fabriquer un repas complet ici relève de la gymnastique avancée! Heureusement, nous vivons en partie dehors – et la cuisson au bbq aide énormément pour la confection des repas! La Minnie se prolonge, sous l’auvent et l’écran pare-soleil, en un espace de vie très polyvalent : repas, lecture, jasette, sieste, détente, apéro, bref, on fait autant de choses dehors qu’à l’intérieur.
Conséquence de l’exiguïté des lieux : on consacre un temps important aux tâches quotidiennes, domestiques et ménagères, beaucoup plus que dans la vie normale. Nous mangeons pratiquement tous les repas ici – pour des raisons de santé et d’économie. Mais vu l’espace de rangement fort restreint, on doit faire des visites assez fréquentes à l’épicerie, pour s’approvisionner presqu’au jour le jour : trois oranges à la fois, une livre de crevettes pour ce soir, un pain frais. Si on rapporte, disons, deux boîtes de dessert du même coup, on a un problème de rangement dans l’armoire!  On doit aussi faire du ménage un peu plus souvent – plus c’est petit, plus ça se salit vite! Même chose pour les autres corvées, comme la lessive, qui revient plus souvent que chez nous, vu qu’on a quand même moins de tout!
Un changement dans la météo et voilà notre routine bouleversée! La « tempête » d’hier a déversé de bonnes quantités d’eau, secoué les arbres, soulevé toutes les feuilles mortes sur le terrain. Au matin, on a émergé sous une couche épaisse de débris (légers, quand même) et les premières heures ont été consacrées au ménage. Pauline a dû monter sur le toit de la Minnie pour balayer les feuilles et les branches, j’ai lavé au boyau toutes les surfaces où se collaient des feuilles mortes, les côtés, l’avant, l’arrière de la Minnie, la Jeep, le vélo, les tables, les chaises, les tapis, alouette! Et puis, on a réinstallé l’auvent, l’écran pare-soleil, les chaises et la table; le soleil est revenu et tout s’est mis à sécher! À côté de nous, les voisins faisaient exactement la même chose!
Bref, il est aussi difficile de décrire que d’imaginer (avant de le vivre) de quoi est faite cette vie quotidienne dans le sud. Comme dans les îles, la vie coule, doucement et sans qu’on s’en rende compte. Comme chez nous, il y a un millier de petites choses qui deviennent vite le tissu du quotidien et auxquelles on s’attache comme si on les connaissait depuis toujours.
Mais contrairement à la vie nordique, on a beaucoup plus de temps pour flâner, lire, méditer, se reposer en somme. C’est ça qui est difficile à décrire, je crois.  On ne parle pas de lézarder, étendue sur une plage et enduite d’huile (protectrice), non! On parle d’un rythme plus lent, moins frénétique, moins stressant que la vie normale, de l’absence d’obligations et d’un minimum de contraintes. Par exemple, je n’aurais jamais pu imaginer, avant de vivre ici, à quoi ressemble une communauté, disons, de plus ou moins 1000 personnes, de tous les âges et de provenances diverses (il y a des enfants, des bébés, des ados, des jeunes, des vieux, des chiens, des chats, etc.), qui vivent côte à côte (selon des codes tacites destinés à assurer un minimum de vie privée et d’intimité quand même), qui sombrent tous ensemble dans un silence léthargique au plus tard à 22 heures chaque soir, qui s’éveillent et s’activent tout doucement chaque matin – et jamais avant 8 heures! Étonnant!
Même Zappa a changé ses habitudes pour s’adapter à cette vie de fausse nomade. Sa journée commence par une longue marche dans la nature avec Armande et se termine le soir, par une autre longue marche avec Pauline. Entre les deux, elle mène sa petite vie de chien tranquille en dormant au soleil ou en cherchant l’ombre, c’est selon. C’est un chien merveilleux pour cette équipée – elle est très calme, sociable, ne jappe jamais et se contente de très peu. Courir dans nos champs et jouer à la balle lui manquent très certainement mais elle accepte son sort de captive de bon gré. Le matin, il m’arrive, quand il n’y a personne autour, de la détacher de sa laisse et de la laisser courir librement le long de la piste, dans les feuillages, sous les arbres. Elle revient vite à moi, un peu craintive dans cet environnement peu familier. Ici, les gens saluent beaucoup les chiens et leur parlent – elle reçoit toujours des compliments « Oh, what a nice puppy! » « Look here! This is a beautiful chocolate lab! » Apparemment, les labradors bruns sont très valorisés par ici! Il lui arrive de rougir d’orgueil, la Zappa!
Ce qui nous manque ici, c’est la présence de ceux et celles qu’on aime et la proximité des lieux familiers, connus, aimés. Les câlins des enfants, les bisous, les gestes d’affection et d’amitié, tout ce qu’on ne remarque pas tant qu’on l’a! C’est parler français toute la journée, au magasin, à l’épicerie, au poste d’essence. C’est le téléphone qui sonne et la voix d’un-e ami-e au bout du fil. Une lettre, un message sur le répondeur. C’est le journal de chez nous, les petites nouvelles du canton ou du quartier, les potins sans importance. Si on s’ennuie? Eh oui, c’est de ça qu’on s’ennuie, même s’il fait beau soleil et qu’on mène la belle vie!
Heureusement, y’a Facebook, où quelques fidèles prennent la peine de donner signe de vie, Skype de temps en temps, les courriels (mais plus le temps passe, plus ils se font rares!), les nouvelles de chez nous qu’on attrape grâce à l’Internet.
Mais là, pour les nouvelles et l’information, ce sera un autre page de ce journal! Parce que là-dessus, j’en ai un peu long à dire!
Sur ce, bonne journée! On vous aime, on pense à vous … et oui, on s’ennuie! Plus que trois semaines …